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Lettres à Lou |
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Le regard d'un papa sur son petit prince pas comme les autres, sur la vie, l'éducation, l'amour.
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jeudi 17 septembre 2009 |
67. Le mot de la fin |
Cher lectrice ou lecteur,
Pour la dixième ou quinzième fois -je ne sais plus-, je recommence avec peine la rédaction de cette dernière lettre, qui clôture six années de récits, de réflexions et de questionnements. J’ai tant de choses à dire à tous ceux qui auront lu ou liront ces pages que je ne sais par quoi commencer. Le « Journal de Lou » et les « Lettres à Lou » représentent six années de joies, de rires, de doutes, de peurs et de larmes aussi. La Vie, tout simplement. La nôtre au travers d’un prisme particulier. Cela représente aussi six années d’écritures, durant lesquelles j’ai essayé de vous partager une « partition » personnelle. La mélodie de mes mots s’est modifiée, a évolué au fur et à mesure de cette aventure littéraire, pour être ce qu’elle est aujourd’hui. Des phrases qui sont miennes. Une « musique » qui, j’ose l’espérer, est recevable par autrui.
Je me lance donc dans cette énième tentative, en gardant une ultime fois la règle du genre que je me suis imposé, non sans raison. Cela s’appelle l’Espoir.
Mon petit Prince, mon p’tit Gars, mon grand Lou,
Tu as un peu plus de onze ans aujourd’hui. Je ne me sens plus le droit de parler en ton nom. Bien que depuis le premier jour de ce récit, j’ai veillé avec soin à ne pas te prêter des intentions ou des émotions qui te seraient étrangères, je suis conscient d’un aspect pervers de cette forme narrative : tu es bien incapable de formuler les choses tel que je le fais en ton nom– sans doute, le seras-tu à vie -, et cela donne aux autres lecteurs l’illusion d’une conscience du Temps et de la Vie qui, à ce jour, te fait défaut. Le temps est aussi venu, je pense, de préserver une part de ta vie privée, de ne pas raconter certains détails, bien qu’en réalité, j’y aie toujours accordé une grande attention et n’aie eu pas le sentiment de l’avoir fait. Je me sens néanmoins à la limite de l’équilibre, entre ma recherche de la fidélité absolue envers la réalité et ce que je ne peux pas écrire, entre ma volonté de témoigner et le respect de ton intimité. C’est pourquoi, je referme ces pages du « Journal de Lou » et des « Lettres à Lou ». Je n’ai cependant pas l’intention de cesser de communiquer à ton propos, d’expliquer aux autres la réalité qui est la tienne afin que le monde s’ouvre un peu plus à la différence. Cette forme littéraire disparaît donc, mais pas le combat que j’entends mener.
Cela fait six ans, presque jour pour jour, que je tente ici-même, ou sous une autre forme , de sensibiliser le monde aux valeurs qui sont les tiennes : celle d’un enfant aveugle de naissance et dont la constitution morphologique du cerveau fait qu’il vit, pour l’essentiel de son temps, dans la sphère émotionnelle et (ré)créative. C’est pour nous, tes parents, une sacrée aventure. Nous devons en permanence tenter de décoder dans ton comportement ce qui provient de la part légitime de l’enfance, ou de ton incompréhension du monde qui t’entoure lié à ta cécité et doublé d’un manque de curiosité évident, ou encore d’un mode de fonctionnement mental provoqué par l’absence de ce « Septum Pellucidum » dans ton cerveau. Car voilà, des bonhommes hors-normes comme toi sont rares et n’intéressent peu ou pas la science. Nous sommes et restons bien seuls en l’absence de toute forme de thérapie, d’enseignement ou de méthode réellement adaptée à ta réalité. Les centaines de récits que j’ai écrits en ces pages, furent d’ailleurs pour moi une analyse méthodique de ta personnalité et de ton schéma mental. Il m’est ainsi arrivé de décoder les raisons d’une réaction de ta part, soit après en avoir rédigé le récit, soit au moment de le lire, ou même de le relire quinze jours après. J’en suis arrivé, plus d’une fois aussi, à me demander qui, de toi ou nous, avait fondamentalement raison ? Moi, nous, qui n’osons pas aller vers les « autres » ? Ou toi qui fait fit de tout préjugé et t’adresse à la première personne que tu croises pour lui partager tes plaisirs de la vie, ton monde ? Ces pages ont été aussi pour moi l’occasion de partager nos petites recettes avec toi, notre « PhiLousophie », nos choix éducatifs qui, paradoxalement, ne sont nullement différents de celles que nous appliqu(i)ons avec tes soeurs.
Cette démarche de communication m’a permis, au travers de nombreux messages et courriels reçus, de lire des témoignages d’autres parents, d’autres réalités, et de prendre conscience de l’immense chantier qu’il faut encore mener pour que les familles, ayant une personne en situation de déficience ou de différence, aient un soutien et une aide qui puissent leurs permettre de vivre et non de survivre dans une situation de handicap. Cela fera bientôt trois ans que la Fondation Lou a été crée et qu’elle œuvre en ce sens, à sa mesure. C’est en ces lieux et suite à vos messages reçus que ma vie a basculé, puisque depuis deux ans, j’ai décidé de consacrer tout mon temps à la Fondation. Un choix irrationnel en termes de « carrière » et de revenus, mais une décision que je ne regrette nullement, si ce n’est la solitude, le manque d’aides concrètes* pour mener à bien tous les chantiers que je voudrais mener. (* à l’exception du chantier de la Plateforme Annonce Handicap) Je ne compte plus les conseils faits de “Tu devrais...”, “Pourquoi, ne fais-tu pas...”, “Il faudrait que tu...”. C’est d’aides concrètes dont j’ai besoin, car une journée ne compte que vingt-quatre heures. Je ne peux tout mener seul et tu as aussi besoin de ma présence à tes côtés. C’est donc une des raisons pour laquelle je clôture « Le journal de Lou » et les « Lettres à Lou » : pour me libérer du temps et tenter d’oeuvrer un peu plus encore, dans des actes concrets vis-à-vis de toi et du monde de la déficience et du handicap.
Cette décision est enfin motivée par le sentiment de me sentir un peu à l’étroit sous cette forme de communication. Je voudrais aujourd’hui transmettre les leçons que j’ai apprises en tentant de t’élever et en élevant tes sœurs, ou au travers des innombrables échanges avec d’autres et les écrits sur ces sujets. Car vois-tu, à force d’avoir remis à plat tant de préceptes pour te comprendre et trouver la meilleure voie possible pour t’élever, j’ai été amené à me (re)poser toutes les questions existentielles. De cette recherche et de ces réflexions, est né un grand nombre de convictions qui, mises les unes avec les autres, forment un discours cohérent et d’une logique qui me semble implacable.
Il me tarde de communiquer aujourd’hui à ce propos, sous une autre forme, plus universelle et plus concrète.
En guise de conclusions, je voudrais en partager une d’elle en ces lieux. La vie est faite d’obstacles et de handicaps, pour tout un chacun. Nul besoin de déficience pour y être confronté. A titre d’exemple, la simple différence ou l’absence d’amour suffit à générer le handicap. Dans la frénésie de la course à la consommation et à l’enrichissement personnel, de nombreux parents délaissent leur rôle de passeur et d’éducateur. Les enfants, nos enfants, sont aujourd’hui en mal d’amour, de repères et de guides. L’orientation que prend notre société occidentale est en train de générer des millions d’enfants handicapés par l’absence de prise en charge, de repères, en un mot : d’amour. Car tel est l’Avoir le plus précieux en cette vie.
Enfin, je m’en voudrais de nier ici l’émotion intense qui m’étreint depuis plusieurs jours à l’idée d’écrire le mot « fin » au bas de ce très long récit. De la raison de sa rédaction maintes fois recommencée ou reportée. C’est une page qui se tourne et une page (presque) blanche qui se trouve face à moi. Mais je suis résolu à poursuivre ma route, avec pour unique diplôme celui de « papa » et de « PhiLousophe », quand bien même mes qualifications et mes mots auront, je le crains, bien peu de poids dans le grand cirque médiatique.
Merci à toi, mon bonhomme, Merci à Claire, compagne de tous les instants et solidaire de ces mots, Merci à Eva et Mathilde, dont les chemins de vie nous confortent dans les choix éducatifs que nous posons avec toi, Merci enfin à vous, chers lecteurs, pour votre curiosité, vos commentaires, vos remarques et autres interventions en ces lieux, qui ont été à chaque fois source de courage et de réflexions.
Je terminerai par quatre petites phrases, aux mots précis, car ils sont mon credo au terme de ces six années de réflexions puis d’engagement :
La « déficience » est l'image de notre propre vulnérabilité. La « différence » est le miroir de nos peurs face à l'altérité. « L'incapacité » est le reflet de nos valeurs. Quant au « handicap », il sera généré par notre manque de volonté à dépasser nos représentations et par notre incapacité à aider et soulager la personne déficiente, différente. A bientôt, quelque part.
Papa Bèrlebus.
Fin. |
Par Luc Boland,
à 12:57 :: Lettres à Lou
:: #83
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jeudi 16 avril 2009 |
66. Jetlag experiment (versus papa) |
Mon P’tit gars,
Que te dire de plus que je n’ai déjà écrit, en me mettant à ta place ? Que je ne cesserai de répéter qu’il n’y a aucun hit parade ni à l’épreuve, ni à la souffrance. Qu’il existe néanmoins quantité d’épreuves de la vie bien plus éprouvantes que cette étrange tour d’horloge inversé vécu ensemble durant dix jours. Que ce fut une sacrée aventure dont l’un et l’autre, nous sortons grandit. Que ce fut dur. Très dur parfois, mais que la volonté de le vivre avec humour et folie nous a aidé à traverser ces jours sans fin. Que ton courage, que ta confiance en ce programme éprouvant dont tu ne pouvais mesurer ni l’impact ni l’objectif, m’a bleuffé.
Je redoutais de ne pouvoir tenir le coup. Nerveusement. Comment garder son calme face au refus lorsque le déficit de sommeil enquilose ? Comment réagir lorsqu’avec ta fatigue, les tocs réenvahissait ton quotidien ? Comment retenir son découragement lorsque manger un yaourt sans le renverser te devient soudain mission impossible ? Du deuxième ou cinquième “jour”, je n’ai dormi que onze heures en quatre “nuit”, mon sommeil se refusant au jour. Durant ces nuits interminables où il fallait rester éveillé, il y avait heureusement ces premières heures où tu tenais la forme et t’occupais sur ton synthétiseur. J’en profitais pour travailler aux chantiers de la Fondation sur mon ordinateur, mais surtout je m’occupais pour ne pas m’assoupir. Et si ta “carotte” pour tenir bon était la visite du cochon à la ferme voisine avant d’aller dormir, la mienne était de tenir le récit de ces dix jours singuliers. Ma récompense un fois le travail accompli. Le plaisir de mettre des mots, d’en rire, car à quoi bon pleurer.
Je me souviendrai longtemps encore de ces heures interminables où mes paupières lourdes ployaient. Je les rouvrais de force, conscient de mon devoir de te tenir éveillé, pendant qu’à ma vue, le paysage basculait, tournoyait.
Tu m’as fait grandir, mon bonhomme. Je ne pensais pas en être capable. C’était mon défi à moi. Rester calme en tout instant, pour ne pas en rajouter à ta fragilité émotionnelle, toi qui perçoit la moindre tension nerveuse. On ne triche pas avec toi. Je n’avais donc pas le choix. Une initiation dense qui rend plus fort... et fier. Elle me rappelle étrangement ce kata en apnée sous une violente cascade, haute d’une trentaine de mètres. Un souvenir inoubliable, d’il y a une douzaine d’années.
Merci mon bonhomme. Et bravo à toi.
Il nous reste juste à espérer que maintenant, ton sommeil se régularisera dans un créneau qui te permettra de vivre plus en forme et du même coup, plus en phase avec nous, avec le monde qui t’entoure. Mais cela, seul le temps nous le dira. En attendant, mélatonine tous les soirs à dix-neuf heures trente pour un bon moment. Le temps de stabiliser et d’ensuite oser prudemment voir si ton corps s’y calquera par lui-même. |
Par Luc Boland,
à 21:03 :: Lettres à Lou
:: #82
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mardi 17 mars 2009 |
65. Le journal de Lou V.S. Bèrlebus (1) |
Un jeudi. 16h40. Le temps de réagir lorsque le minibus de l’école klaxonne devant la maison, je rejoins et ouvre la porte de rue. Celle du bus en face de moi l’est aussi, de sorte que j’entends de suite que tu es en pleurs. - Qu’est ce qui se passe, mon Chounet ? Confus et énervés, comme à chaque fois que les émotions débordent : - Mais le bus, il ne va pas venir. - Mais le bus est là, Chounet. Tout va bien. Pourquoi pleures-tu ? - Parce que il y a Céline qui les parents n’étaient pas là. - Je comprends pas, Loulou. Explique-moi calmement ce qu’il y a avec Céline. - Mais oui, mais les parents de Céline n’étaient pas à leur maison et Céline pleure. - Toi aussi et j’aimerais savoir pourquoi. - Mais oui, mais ils sont où ? Tu refonds en larme et te laisses tomber dans mes bras, en contrebas de la fourgonnette. Je demande au chauffeur de me confirmer les informations. - Et c’est pour ça que tu pleures ? - Céline pleure, crie. - Tout va bien Lou, ce n’est pas parce que Céline est inquiète que tu dois être toi aussi inquiet. - Mais oui, mais ils sont où ses parents ? - En retard. Ils sont peut-être retenus dans un embouteillage, mais ce n’est pas un problème. Le chauffeur terminera sa tournée en repassant chez elle et ses parents seront alors rentrés. La porte du bus se referme. Le véhicule s’éloigne pendant que je te fais descendre de mes bras. - Tout va bien, mon Chounet. Ce n’est pas parce que quelqu’un est triste ou a peur, que cela va aussi t’arriver.lire la suite |
Par Luc Boland,
à 18:09 :: Le journal de Lou V.S. Bèrlebus
:: #81
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mardi 10 février 2009 |
64. Le plaisir d’être grand |
Mon p’tit gars,
Nos retrouvailles après tes sixièmes classes vertes sont un plaisir.
Il est le fruit du travail et de la patience de toute l’équipe de ton école. Sans doute sont ils plus exigeants que nous et par là même, t’amènent-ils à une autonomie plus grande… qui te grandit.
Il est aussi le fruit du « plaisir d’être grand » que nous t’inculquons sans relâche. Tu aimes tellement être encouragé et félicité qu’à chaque progrès ou effort, tu t’associes fièrement à notre joie. De l’importance que tu accordes aux timbres de nos voix. Ils doivent, en ces moments là, être les sourires que tu ne peux voir, de la même manière que nos voix doivent se froncer comme des sourcils, lors de nos réprobations.
Au delà de ces encouragements, force est de constater aussi que ton rythme du sommeil ne s’accommode pas avec de longues journées et que ton humeur s’en ressent. Lorsqu’il t’est possible de faire une sieste, comme ce fut le cas lors de ces classes vertes, ton comportement est tout autre. Convaincu qu’il est essentiel de trouver une solution à tes nuits trop courtes, nous entamerons justement dans quinze jours des examens pour tenter de cerner des éventuelles causes hormonales au problème, car en l’absence de lumière, il arrive que chez certaines personnes aveugles, le cerveau ne produise pas la mélatonine* dans le rythme et le cycle normal du jour et de la nuit. Nous verrons bien...
La dernière chose que je voudrais évoquer en rapport à ces classes vertes, c’est ton talent d’imitateur. C’est absolument saisissant. Je ne me trompe pas quand je t’appelle mon petit “recorder player”.
Avec toi, il y a les haut et il y a les bas. Il y a d’étonantes aptitudes et d’autres inaptitudes. Il y a aussi ces petites rechutes après les bonds en avant. Alors, profitons du haut !
Je t’aime, gamin ! (Lettre en réponse à l’article dans le « Journal de Lou » : 651. Le Petit Prince heureux et doux comme un mouton )
* La mélatonine, souvent dénommée hormone du sommeil, est surtout connue comme étant l'hormone centrale de régulation des rythmes chronobiologiques. Cette neurohormone est synthétisée à partir d'un neurotransmetteur, la sérotonine, qui dérive elle-même du tryptophane, un acide aminé essentiel. Elle est sécrétée par la glande pinéale (dans le cerveau) en réponse à l'absence de lumière. (dixit les renseignements pris) |
Par Luc Boland,
à 18:15 :: Avec mes yeux
:: #80
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vendredi 3 octobre 2008 |
63. Les serruriers (à la recherche des clés) |
Mon p’tit gars, Tu as dix ans… Dix ans d’un cheminement fait de progrès et d’éveils. A ton rythme et celui de nos investigations et progrès dans la compréhension de tes difficultés à sortir de ton monde.
Depuis dix ans, nous sommes devenus des aventuriers, « Indiana Jones et Lara Croft dans le labyrinthe de Morsier *». Mais d’aventuriers, il serait plutôt question de serruriers, tant ta forteresse compte de portes verrouillées qu’il nous faut ouvrir et franchir pour atteindre une certaine forme de communication équitable avec toi. De ton monde, nous connaissons surtout ce pays de Cocagne dont tu ouvres les portes à tout vent. Tout doit y être plaisir, amour, tendresse et jeux, son et musicalité, afin d'éloigner le pays sombre de tes peurs. Un monde dans lequel tu essayes sans cesse de nous emmener, mais dans lequel il est impossible de survivre en permanence, car il nie toute contrainte, même essentielles, voire vitales. Un monde dans lequel tu entends inviter toute personne que tu croises. Ainsi, as-tu tracé un chemin et ouvert certaines portes pour imposer une relation bien précise avec autrui. Tu as balisé un itinéraire précis, une viste guidée de ton monde, verrouillant toutes les autres portes qui s’écarteraient de ce que tu es prêt à partager avec des visiteurs. Etrange dualité d’un labyrinthe fléché et ouvert sur des espaces foisonnant de communications, de plaisirs et d’émotions, et inversement, composé d’une multitude de portes hermétiquement fermées.
Combien de clés avons-nous déjà essayées pour ouvrir ton monde au nôtre ? Patiemment, nous observons les trous des serrures pour sélectionner les meilleures d'entre elles. Avec plus ou moins de succès. Certaines clés ouvrent des portes donnant sur des espaces vides et noirs qui t’effrayent, et qu’il convient d’urgence de refermer ou de meubler des couleurs et choses qui te rassurent. D'autres clés s'avèrent utiles car d’usage pour de multiples portes, tel un sésame. Mais combien de fois buttons-nous sur une porte qu’à peine ouverte, tu refermes et cadenasses de plus belle ? Un travail de limier. Et puis il nous faut mémoriser le dédale de portes et de pièces comme le plan d'une carte aux trésors, un chemin vers la communication. Nous avons une armoire pleine de plans appris par coeur pour nous rejoindre et communiquer. Et comme tu aimes les rituels, il t'arrive souvent de vouloir nous imposer des contournements précis. Une infinité de clés nous attend encore. Une multitude de surprises et d’aventures aussi. Mais en dix ans et à ton rythme, ton monde s’ouvre, petit à petit. Viendra peut-être un jour où plus aucune nouvelle porte ne s’ouvrira, car ainsi, seras-tu toi, Lou, un petit bonhomme extra ordinaire, un Petit Prince vivant dans un labyrinthe où les émotions valent plus que la raison.
(* Lou est atteint du Syndrome de Morsier, avec pour conséquence des déficiences physiologiques et une différence intellectuelle singulière.)
Ma race, c'est celui que je suis. Toute personne est à elle seule une humanité. Chaque homme est une race. Mia Couto (auteur Mozambicain) |
Par Luc Boland,
à 10:26 :: Lettres à Lou
:: #79
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jeudi 5 juin 2008 |
62. La grande histoire, avec et sans grand mal. |
Mon petit bonhomme, Une fois encore, je voudrais te rapporter et partager ces mots, pour le jour hypothétique où tu serais capable de les lire et surtout, de les comprendre. C'est la plus belle histoire qu'il soit, puisque c'est la tienne. L'histoire de ta vie. De la Vie. L'histoire la plus Bèrlebus qu'il soit aussi, puisque tu imagineras ma voix lorsqu'il te sera donné de la lire.
L'aventure du jour n'est pas drôle, puisqu'elle commence à l'hôpital, le mercredi 28 mai 2008, le soir de ta première crise d'épilepsie. Cette aventure t'a révélé être d'un grand courage face aux multiples piqûres, aux multiples électrodes et autres épreuves de cette nuit, telle aussi cette indigestion, qui s'est prolongée jusque tard dans la nuit.
Depuis l'instant où tu t'es écroulé et que la crise d'épilepsie s'est déclarée –c'est quelque chose d'impressionnant à voir pour ceux qui y assistent -, une voix essayait de prendre le dessus parmi toutes celles qui se chamaillent dans ma tête. Elle me hurlait : "Ce n'est pas grave. Juste impressionnant. Lou ne souffre pas. Ce n'est pas grave". Je m'accrochais à elle comme je pouvais, la balbutiant presque, pour qu'elle s'impose et fasse taire celles qui prônaient la peur, le découragement ou la colère. C'est la voix de la raison, de la réalité : l'épilepsie se soigne bien de nos jours. Nous avons la chance de vivre dans un pays où les soins de santé sont encore un droit (hélas, pour combien de temps encore…). C'est la voix du devoir de confiance envers les "Blouses blanches" qui, dès notre arrivée, ont été impeccables, respectueuses de nos explications quant au petit phénomène que nous mettions entre leur mains, jusqu'à se mobiliser pour faire taire les "bip" des monitoring qui te faisaient t'agiter, bien que tu fus encore dans une semi inconscience.
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Par Luc Boland,
à 19:06 :: Lettres à Lou
:: #78
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mardi 22 avril 2008 |
61 Jusqu'à l'inaccessible étoile |
Mon p'tit gars, comme tu aimes t'entendre nommer depuis que ta professeur d'équitation t'as ainsi apostrophé.
Relisant le dernier article
que j'ai écrit dans ton journal à propos de tes difficultés en calcul, lisant aussi les commentaires des lecteurs, j'ai éprouvé l'envie d'en reparler avec ces autres mots.
Lors de telles exercices de mathématiques avec toi, j'ai parfois le sentiment que nous sommes des tyrans. En ces moments, j'observe plus que jamais les moindres expressions de ton visage et j'y lis toute la confusion, le désarroi... mais parfois aussi, l'insouciance ou la rêverie. Ta sincérité est ainsi faite. Si parfois, il s'agit clairement d'un manque de concentration, il n'y a aucun doute, face à ton expressivité, que tu es souvent paumé, perdu dans les méandres de ce cerveau qui n'en fait qu'à sa tête. Mais il nous faut tenir bon au delà de l'empathie. Essayer et essayer encore… Tu as déjà franchi tant d'étapes qui nous semblaient lointaines, voire inaccessibles. Tu parviens à écrire de mieux en mieux à la machine Perkins. Quant à a lecture, elle avance aussi, à tous petits pas.
J'ai tenté de t'expliquer l'importance du calcul dans la vie, de la raison pour nous de vouloir t'aider à comprendre et apprendre cette drôle manière de communiquer ou de se représenter les choses. Et je te l'expliquerai, encore et encore… Car à d'autres moments, je me dis que nous n'en faisons pas assez… Cet éternel équilibre fragile.
Un journaliste de Déclic (un magazine destinés aux parents d'enfants handicapés) m'a demandé hier d'écrire le rêve d'un papa d'un enfant handicapé. J'ai décliné l'invitation, faute de temps, mais aussi parce que le rêve que j'ai, me semble inaccessible. Pour t'aider à grandir, il te faudrait des professeurs particuliers, car tu as besoin de rapports privilégiés et de concentration. Des professeur qui se relaieraient à raison d'une demie journée, chacun avec ses compétences : le calcul, le braille, la géographie, l'histoire, les sciences, la musique… Des personnes prêtent à conceptualiser leur enseignement à ta hauteur, à hauteur de ta cécité et de tes limites intellectuelles à repousser patiemment, une à une. Des personnes prêtent à entrer dans ton monde pour en exploiter le contenu et le ramener dans notre réalité (comme l'a si bien fait une institutrice de remplacement). Des personnes ludiques, envieuses de reconsidérer leur savoir avec des mots à auteur d'un petit Prince qui ne voit bien qu'avec le cœur. L'enseignement que tu reçois à l'école tend à te donner tout cela, mais le simple fait d'être en groupe et de répartir l'enseignement à chacun de tes huit camarades forment autant d'obstacles à ton apprentissage. Je rends d'ailleurs ici hommage à tes éducateurs et professeurs qui ont une tâche bien difficile tant avec toi qu'avec d'autres sacrés numéros de ta classe. C'est le système scolaire que je remets ici en cause, car il t'est inadéquat… mais quel Etat serait prêt à financer un enseignement adapté à des enfants tels que toi. Car au bout de ce rêve d'un enseignement qui te serait adapté, il y aurait aussi une vie sociale, en dehors de tes cours particuliers et en compagnie de "camarades" de classe. Et pour couronner le tout, une vie sociale avec des enfants de ton âge ou en rapport à ta maturité… et que l'on nomme "normal" ou "amis". Tel est mon rêve et l'évoquer me fait mal car je ne vois aucun moyen d'y arriver, de même que je me pose en permanence la question de sa légitimité eu égard au besoin vitaux de tant et tant de peuples dans le monde. Mais tout cela me mène si loin de la réalité, de ta réalité…
Je t'aime, mon p'tit gars.
Et en d'autres domaines, tu excelles et as tant de choses à nous apprendre. |
Par Luc Boland,
à 18:32 :: Lettres à Lou
:: #77
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vendredi 28 mars 2008 |
60 Conscience |
Mon petit bonhomme,
Je voudrais revenir sur ce goûter où nous jouions aux "mots que tu ne comprends pas" et durant lequel tu m'as demandé de t'expliquer certains mots entendus dans la séquence du diagnostic du film "Lettre à Lou" que tu écoutes encore occasionnellement aujourd'hui. Je m'attendais – ou devrais-je dire : j'espérais – qu'un jour tu me poses ce genre de questions par rapport au film. Je m'y étais donc préparé. Ce n'est pas la première fois que tu nous questionnes par rapport à ton/tes handicaps. Une réelle prise de conscience s'est développée depuis un an environ.
L'autre jour, quand nous promenions Méga en forêt, tu as apostrophé un promeneur pour discuter de son chien – ton grand plaisir lors de nos balades est d'entendre Méga aboyer ou jouer avec d'autres chiens que l'on croise -. Tu t'es présenté d'une manière exhaustive, comme tu le fais de plus en plus souvent avec les personnes que tu ne connais pas : - Bonjour, je m'appelle Lou, j'ai 9 ans, je suis aveugle et je n'ai pas de septum, et mon chien s'appelle Méga, et tu connais Giuliano qui a perdu son sac ? Ainsi, tu as conscience aujourd'hui de ta différence, quand bien même il est difficile pour toi d'en mesurer l'incidence ou précisément la différence que cela représente par rapport aux autres. Qu'est ce qu'être aveugle pour qui n'a jamais vu… J'en ai déjà longuement parlé en ces pages .
Cet éveil à ta réalité, tu m'en as déjà aussi fait allusion par rapport à tes "tocs", "trips" et "obsession". - Dis, papa, c'est parce que je suis handicapé que j'ai mes obsessions ? - Non, Lou, ça ce n'est pas un handicap, c'est un comportement lié à tes peurs. Par contre, le fait que tu ais parfois difficile à te concentrer ou appréhender ce que tu ne connais pas est une forme de handicap, parce que c'est un peu plus difficile pour toi de réfléchir longtemps, mais tu vois, tu progresses, tu grandis. - Fais Giuliano qui cherche son sac ! - Tu as entendu mon explication, Lou ? - Oui, mais fais Giuliano qui a perdu son sac. Et une fois encore, tel une girouette, tu as tourné la page pour passer à autre chose, sans me permettre de savoir si mon explication avait bien été intégrée. …Et il nous faudra te le répéter et répéter encore au gré de ta curiosité ou de tes questions.
Le fait d'être en contact avec des enfants atteints d'autres handicaps, à l'école ou avec des amis, a aussi éveillé en toi cette notion de différence te concernant ou concernant d'autres personnes. Ce qui est étonnant, c'est que cela ne t'affecte nullement… à ce jour. Nous avons parfaitement conscience que cela pourrait changer au fur et à mesure de ton éveil et de la naissance d'un sentiment d'injustice, mais à chaque jour suffit sa peine, comme on dit.
Cet éveil fait aussi résonner en moi une réflexion que nous avons abordé lors du séminaire que la Fondation Lou a organisé : le problème du diagnostic "étiquette". Tu es Lou, tu es certes un enfant atteint du syndrome de Morsier, mais avant tout, tu es toi. Tu as des différences sensibles et facilement perceptibles, mais nous sommes tous différents… de manière souvent cachée, afin de nous fondre dans la société. Si ta différence peut être handicapante dans la vie de tous les jours, elle est aussi faite d'une richesse singulière et unique, tel ta passion et ton don inné pour la musique, tel ta gentillesse naturelle, automatique et sincère… dans les moments où tu te sens bien et en confiance.
Tu es toi, mon bonhomme, et tu es unique au monde. Ta vérité vaut celle des autres.
Article rédigé en miroir du journal de Lou : En avant vers mon passé |
Par Luc Boland,
à 11:51 :: Lettres à Lou
:: #76
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jeudi 13 mars 2008 |
59. Une longue absence |
Mon petit bonhomme, cela fait des mois que je te suis bien indisponible, bien que nous ayons trouvé ensemble une belle complicité dans ces rares instants rien que pour toi. Des mois que j'ai mis à profit pour essayer de faire avancer les choses et aider tous les parents qui, comme nous, ont un enfant atteint de handicap. Le nom de la "Fondation Lou" ne t'est plus étranger, tant il occupe la place dans des conversations lors de nos repas, mais de là à comprendre ce que cela représente…
De la raison de cette lettre pour ce futur hypothétique où tu serais capable de lire et comprendre ces lignes.
J'ai décidé, avec ta maman, de fixer comme premier objectif de la Fondation Lou "le soutien moral aux parents "autour" du diagnostic de handicap de leur enfant". Car à l'analyse de la situation –tant en Belgique qu'en France et ailleurs -, une grande majorité de parents se retrouvent lâchés dans la nature sans aucune forme de soutien moral et/ou social. Or, il est impossible que des parents apprenant le handicap de leur enfant aillent bien. Tant de témoignages me sont ainsi parvenus depuis ces quatre années où je communique à propos de notre aventure avec toi. Il nous a semblé logique et fondamental d'essayer de faire bouger les choses en ce domaine, car des parents qui "vont mal", ne peuvent générer un enfant qui va bien, fusse-t-il handicapé. C'est le départ de la vie, d'une nouvelle vie qu'il convient d'accompagner, assister et aider.
Samedi passé, j'ai donc organisé un grand séminaire en guise d'état des lieux. 330 personnes ont répondu présents : parents, médecins, associations, services d'aide précoces ou d'accompagnement, psychologues, enseignants, éducateurs, représentants des pouvoirs publiques (qui nous soutiennent) etc. Ce fut une journée riche, intéressante, et les applaudissements rythmés des participants à la fin de la journée m'ont profondément ému et inondé de plaisir : nous avons eu raison de lancer ce vaste chantier.
Si cette journée est une première étape, que le chemin est encore long, que le travail à accomplir est énorme, je vais enfin avoir un peu plus de temps pour être un peu plus à tes côtés.
Bèrlebus. |
Par Luc Boland,
à 16:21 :: Lettres à Lou
:: #75
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lundi 12 novembre 2007 |
58. La grande inconnue |
Mon petit bonhomme, Voilà plus de deux mois maintenant que j’ai fait le grand saut. Voilà des mois qu’il me tarde de t’écrire une nouvelle lettre pour un futur quelconque et hypothétique, mais comme toujours, le temps me manque cruellement.
Que te dire. Que le stress de mon métier - la réalisation d’un film- s’est substitué par un autre : celui de la grande inconnue ? Tu le sais et le sens, toi pour qui la moindre intonation d’une voix dévoile immédiatement l’état d’âme d’une personne inconnue, quand bien même tu n’en connaisses pas la cause. Quelle folie m’habite d’ainsi arrêter (provisoirement ?) mon métier sans aucun filet de protection, pour me consacrer plein temps et pour ainsi dire bénévolement aux causes qui sont les nôtres et dont tu es le coeur ?
Je travaille, mon bonhomme. Beaucoup. Autant que si je préparais un nouveau film. Je cherche et découvre plein d’informations sur ton handicap*, qui nous conforte en tous points sur nos stratégies adoptées intuitivement avec toi, mais aussi nous confirme dans cette différence qui t’accompagnera tout au long de ta vie. Je cherche et commence à trouver des personnes susceptibles de t’encadrer dans ton apprentissage de la vie. Que ce soit pour la musique ou d’autres apprentissages : le braille, l’hippothérapie. Mais il y aurait tant de choses à mettre en place autour de toi pour t’aider, à ta mesure, à embrasser ce monde si étranger à tes sens. Je dégage aussi plus de temps pour être à tes côtés, car ma juste place est sans nul doute là. Et puis, il y a tout ce dont tu n’as pas conscience** et qui me prend beaucoup de temps.
Si cette aventure est parfois stressante de par « la peur de l’inconnu » - cette phrase qui ponctue la fin du film « Lettre à Lou » et qui nous concerne tous - , elle m’apporte aussi beaucoup de satisfaction et de plaisir, et de cela, tu en as aussi conscience et le ressens, mon petit médium. Mes moments de présence à tes côtés sont plus denses, plus intenses. J’ai parfois le sentiment de m’être levé, de réaliser ce rêve de gosse qui ne m’a jamais quitté depuis mes cinq ans : faire quelque chose pour changer le monde. J’ai bien conscience que tout ce que j’entreprends est une goutte d’eau dans l’océan, mais ne dit-on pas que les petits ruisseaux font les grandes rivières ?
Je t’aime mon petit bonhomme, mon petit ambassadeur d’une différence qui a le droit de citer dans une société de formatage et d’abrutissement pour un individualisme toujours plus grand.
Ta sincérité et ton affectuosité sont des cadeaux et une leçon pour nous tous.
Jusqu’à mon dernier souffle, je serai le premier ministre de ton petit royaume, ardent défenseur de ton droit à vivre décemment sur notre planète. (P. S. : Et pendant ce temps là, des politiciens s’entredéchirent pour scinder et individualiser un peu plus la vie d’un petit royaume nommé Belgique. Sans se soucier le moins du monde des conséquences que cela engendra pour l’ensemble de la population handicapée belge qui paye déjà un lourd tribu à la complexité institutionnelle de ce minuscule territoire subdivisé en 3 régions, 3 communautés linguistiques etc. )
* Je mettrai bientôt en ligne un texte que j’ai traduit de l’anglais et complété, qui fait une présentation relativement précise de ce qu’est le syndrome de Morsier.
** Je travaille actuellement pour la Fondation Lou sur un projet d’un séminaire ou « Etats généraux » sur le Soutien moral aux parents « autour » du diagnostic de handicap de leur enfant. |
Par Luc Boland,
à 19:04 :: Lettres à Lou
:: #74
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vendredi 31 août 2007 |
57. Des choix de vie |
(article écrit en écho au "Journal de Lou" : 588. Impressions de vacances ).
Mon petit bonhomme, Je voudrais revenir un instant sur nos vacances. Une fois encore, elles furent l’occasion de te sortir de temps à autres de ton quotidien que tu aimes réglé comme du papier à musique, ou de tenter de franchir de nouvelles étapes, comme cette année, te déplacer tout seul la nuit pour te rendre aux toilettes. Une fois encore, ces vacances furent rythmées par ta présence.
Je voudrais te livrer ici notre « recette », car au final, ces vacances furent belles, très belles.
La vie est faite de choix et ta présence nous a amené à en faire un grand nombre. Ainsi, nous avons décidé de renoncer à certaines choses afin d’avoir les moyens financiers d’offrir des vacances plaisantes à chacun d’entre nous. Nous avons décidé aussi de prendre chaque année un mois de vacances : quinze jours à la mer (totalement axés vers vous, les enfants) et quinze jours au soleil, généralement en France. Deux fois quinze jours ne sont pas de trop pour nous permettre, à ta maman et moi, de grappiller quelques instants de repos ou de complicité à deux. Cela constitue, à chaque fois, un sacré budget pour que chacun y trouve son compte, mais cela implique aussi un style de vie qui permette à chacun de souffler ou d’être le centre d’intérêt de la famille. Nous avons ainsi instauré le principe de « Roi et Reine ». Au fil des jours, chacun est à son tour est le roi ou la reine. Toute l’attention est portée vers l’élu(e) qui, outre une grasse matinée éventuelle, choisit librement le programme de sa journée. Nous veillons aussi, dans le choix du lieu, à ce que chacun s’y plaise en fonction de ses centres d’intérêt.
Cette année n’a pas fait exception. Nous sommes descendus à Paulignan. Un plaisir pour nos yeux, pour tes oreilles, pour la détente et la rencontre avec d’autres résidents ou entre enfants, et nous offrant enfin la possibilité d’y accueillir aussi des amis. Si pour toi, les principaux centres d’intérêts en vacances sont la piscine, le hamac, ton synthétiseur et tes jeux électroniques (autant choses que nous emmenons partout avec nous), visiter les fortifications de Carcassonne t’est, par contre, d’aucun intérêt. Un modus vivendi s’installe donc pour faire plaisir à tout le monde, mais il est vrai que par ta seule présence, le mot « farniente » prend le pas sur celui de « visiter ». Et les jours s’égrainent, où nous nous levons alternativement pour s’occuper de toi afin que l’autre puisse dormir un peu plus.
Au final, si nous ne rentrons pas physiquement reposés -car après l’heure des enfants, vient l’heure des adultes ou de nos têtes à têtes, entre ta maman et moi-, nous revenons à chaque fois mentalement et moralement apaisés.
Telle est notre recette, simple sommes toutes et nous avons l’immense chance de pouvoir nous le permettre.
Mes pensées vont à tous ceux qui ne peuvent prendre des vacances et, en particulier, aux les familles ayant un enfant handicapé.
PS : Merci à Françoise et Gilles de Paulignan pour leur chaleureux accueil, sans aucun à priori vis à vis de Lou… et pour cause |
Par Luc Boland,
à 16:06 :: Lettres à Lou
:: #73
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mercredi 1 août 2007 |
56. Grosse fatigue |
Mon petit « Rain Man », Mon têtu bourricot, Te rends-tu compte de cette attention permanente et nécessaire, pour simplement canaliser tes émotions, ne pas te laisser t’enfermer dans des répétions sans fin ? Oui… et non. Tu te rends compte de nos oppositions. Tu tentes d’en comprendre les motivations que nous répétons inlassablement, mais « les autres », ces autres dont nous te parlons et qui justifient nos réactions, tu n’en as cure. Un tas de concept de vie ne veulent résolument pas s’inscrire dans ton cerveau. Tu prends la vie comme elle vient et te construis en permanence une réalité telle que tu la voudrais. Qu’il y ait six milliards d’êtres humains avec lesquels il faut vivre, que nous vivions sur un minuscule cailloux perdu dans l’espace, tout cela est sans intérêt pour toi. Personne, hormis peut-être certains lecteurs de ces pages, ne peuvent imaginer ce qu’est notre quotidien avec toi. Par moment, je me dis que c’est une aventure de fou, aux confins de la Raison. Car quelle est-elle, cette Raison ? Ta sincérité vaut elle moins que nos calculs permanents ?
Je t’aime, mon bonhomme, mais la vie avec toi est épuisante. Si le mot « vacances » signifie le relâche et le repos, ta présence nous en marque les limites. Puisse la suite de nos vacances, nous faire à tous le plus grand bien.
Article rédigé en miroir de l’article du journal de Lou de «Pas de vacances pour les braves». |
Par Luc Boland,
à 11:43 :: Lettres à Lou
:: #72
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vendredi 26 janvier 2007 |
55. Tes semblables |
Mon petit Lou, Cette histoire est incroyable. Grâce à une lectrice* du site, j’ai découvert qu’une université à Los Angeles a lancé un programme de recherche sur les enfants comme toi. Non pas une recherche médicale… mais musicale.
Il y a sept ans, un professeur de musicologie rencontre un autre petit prince comme toi, âgé de cinq ans. Celui-ci fait preuve d’un don évident pour le piano. Intrigué, ce professeur s’enquiert de son handicap : Dysplasie septo optique ! Il découvre le point généralement commun de ce handicap (outre la cécité partielle ou totale) : l’absence de septum (la cloison qui sépare les deux ventricules du cerveau, nœud supposé de communication entre le rationnel et l’affectif). Il décide alors d’investiguer et cherche à rencontrer d’autres enfants atteints du syndrome de Morsier. Son observation sur quelques enfants et ses conclusions sont étonnantes : tous les enfants rencontrés font preuves d’aptitudes musicales hors du commun. Mieux, la pratique musicale semble être un vecteur d’éveil intellectuel. Les causes d’une telle faculté serait due à cette absence de septum. En simplifiant un peu (et si j’ai bien compris l’anglais , l’émotionnel est moins mis sous l’éteignoir du rationnel et l’esprit s’en retrouverait plus libre pour s’exprimer.
Ainsi, sans rien en savoir, nous t’avons instinctivement immergé depuis ta naissance dans la musique, puis dans la découverte des instruments de musique, jusqu’à ton premier vrai synthétiseur offert à tes six ans. Aujourd’hui, ce n’est plus nous qui te proposons de jouer au piano mais toi. Quotidiennement. Ainsi, tout les matins, avant de partir à l’école, tu demandes à jouer cinq ou dix minutes. A ton retour, tu y passes entre un quart d’heure et une heure, à t’amuser, t’essayer, chercher, reproduire…
Si un jour tu lis ces lignes, il est probable qu’alors, tu pourras même en faire ton métier.
Je t’aime, mon artiste.
Liens :
Le site de l’étude américaine Les conclusions d’une étude similaire faite récemment en Angleterre (document pdf).
* Un merci infini à Lili qui a fait cette découverte ! |
Par Luc Boland,
à 12:06 :: Lettres à Lou
:: #71
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lundi 20 novembre 2006 |
54. La raison d’être |
Mon petit Lou, Cela fait un sacré bout de temps que je souhaitais t’écrire, mais le temps me manque.
Aujourd’hui, une fondation porte ton nom, pour que « Lou » soit synonyme d’espoir et d’aide. Je t’ai déjà écrit les raisons qui m’animent, mais le lancement de la Fondation Lou est l’occasion de le dire à nouveau, différemment.
Notre vie avec toi est un réel bonheur, une leçon que tu nous donnes quotidiennement. Tu n’es pas un fardeau . Et si ta différence nous demande beaucoup de disponibilité, la vie n’en reste pas moins facile avec toi. Il n’en va hélas pas de même pour tant et tant de parents d’enfants différents, que ce soit pour des problèmes de précarités ou de handicaps lourds. C’est pourquoi, je voudrais te livrer ici un témoignage que j’ai reçu, le jour même où nous inaugurions la Fondation. Il dit tout. Il résume la raison d’être de la Fondation Lou, la nécessité d’aider un grand nombre de parents que la vie a chargé d’une mission difficile.
Lou est un petit prince pas comme les autres. Moi aussi j'ai ma princesse différente des autres et combles des choses, elle porte le prénom d’une princesse des milles et une nuit. Mais son destin n'est pas de raconter 1001 histoires, mais de souffrir 1001 douleurs . Dans ce pays, être un enfant différent est une tare pour eux, mais surtout être parent d'un enfant différent se paye très cher. Chaque jour que Dieu fait, je me bats pour avoir le courage de me lever le matin et d'affronter la société, d'obtenir tout ce dont a besoin mon enfant. Et pour cela, il faut travailler. Mais il n'y a pas de garderie pour eux, pas d'endroit adapté ....( mise à part leur centre qui ne savent pas adapter les horaires faute de moyens). Vous restez donc à la maison avec les foudres du système sur votre tête ( le chômage), une discrimination face au travail etc.)
Comme Lou, elle a un visage d'ange. Mais vous vous prenez les regards qui interrogent, qui se moquent, qui vous jugent, qui la juge. Vous essuyez les remarques désobligeantes, et vous souffrez dedans, sans savoir quoi faire pour rendre à votre ange le respect qu'il mérite. Je suis mère seul, avec elle de 12ans et sa soeur de 16ans. Je m'épuise chaque jour un peu plus. Je ne trouve aucun moyen de la faire garder ne fut-ce qu'un week-end pour souffler simplement. Pas de place disponible. Pas de famille pour m'aider, même pas leurs père qui lui, vit pour lui. Je suis nerveusement épuisée. Ses cris pour s’exprimer détruisent mon âme chaque jour un peu plus. Sa soeur ne supporte plus ça non plus. On l'aime mais ça dépasse notre force, notre courage. On ne trouve que des barrières sur notre route déjà si ornée de souffrances. Je voulais vous témoigner ma souffrance, mais aussi mes joies de la voir dormir le soir si paisiblement, de la voir sourire quand elle est de bonne humeur, de l'entendre rire quand elle trouve quelque chose qui lui plaît, de la voir avancer à mon bras quand elle a cette force d'avancer . Ma princesse a été victime d'un accident de la route à l’âge de 2 mois. Personne ne veut reconnaître cette accident qui la laisse maintenant autiste, infirme moteur cérébral, avec juste sa mère et sa soeur comme seul soutient, et l'espoir que demain, sa vie serra respectée comme il se doit.
S. |
Par Luc Boland,
à 11:34 :: Lettres à Lou
:: #70
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mardi 26 septembre 2006 |
53. A tord ou a raison ? |
(Article ne miroir du journal de Lou : 525. Parcours d’artistes.)
Le chantage. Le mot est lâché.
Nous nous sommes toujours interdit d’utiliser cette méthode éducative qui, pour nous, est synonyme d’échec et d’arbitraire. Le chantage veut dire que l’on est à cours d’argument, que nous n’aurions pas réussi à trouver des mots pour expliquer et convaincre. « Si tu fais ça, tu auras ça ! » Piteux, lamentable, et plus proche d’une méthode de dressage pour chien que de l’éducation. Peut-on conditionner l’humain comme le chien de Pavlov ?
Et pourtant… Face à certaines situations et de nombreuses obsessions qui occupent beaucoup ton esprit, et après avoir tout tenté pour te raisonner, nous n’avons trouvé que cette clé ultime pour doser et quantifier tes attentes et souhaits. Actuellement, s’il ne tenait qu’à toi, tu écouterais les disques de « Muse » en boucle ou tu parlerais en permanence en imitant Jordi.
Et pourquoi ne pas te laisser faire ? En regard à « Muse », ce serait faire fi d’un rapport social et communautaire où il convient de partager, en ce compris les envies et goûts musicaux de chacun. Quant à tes imitations de Jordi, il en va de la santé de tes cordes vocales qui, depuis deux mois de sollicitations intenses, ont un timbre éraillé, usé.
Oui, je l’avoue, la condition est entré dans notre arsenal éducatif. Jamais nous n’avions pratiqué cela avec tes sœurs. Un glissement insidieux qui est né aussi de ton éternelle impatience, de ta difficulté de mesurer le temps qui passe et les échéances. Un moyen enfin de te pousser à l’effort, au contrôle, car ta relation aux autres s’inscrit trop souvent en sens unique, en imposition de tes désirs.
Oui, nous te demandons de « faire le grand garçon » pour pouvoir, par exemple, écouter « Muse ». Echec ? Faiblesse ? Erreur ? Peut-être. Je n’ai pas de réponse.
Enfin, il est curieux de constater que tu nous a aussi amené vers cette voie : « Dis, maman, papa, si je fait « ça », est ce que je pourrais alors faire « ceci » ? »
La seule réflexion qui me vient à l’esprit est celle qu’avant tout, nous sommes et restons, ta maman et moi, humains. …Et bien seuls face à toi. (NDLA : un des nombreux objectifs de la Fondation Lou sera le financement d’un travail de recherche fondamentale avec Lou et si possible d’autres enfants comme lui, sur les effets de l’absence de septum dans le développement psychique.) |
Par Luc Boland,
à 09:53 :: Lettres à Lou
:: #69
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