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Lettres à Lou |
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Le regard d'un papa sur son petit prince pas comme les autres, sur la vie, l'éducation, l'amour.
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mercredi 24 décembre 2003 |
6. Ces mots |
Mon petit prince, Mon petit bonhomme,
J'ai bien conscience que toutes ces lettres que je t'écris aujourd'hui sont incompréhensibles pour toi. Trop de mots compliqués, trop plein de rêves, d'images, de pensées qui ne t'effleurent pas encore. Même nos deux princesses ne comprendront probablement toute la portée de ces mots que dans quelques années. Car c'est pour elles aussi que j'écris ces mots. Et pour tous ceux qui ont envie de les partager.
Mais un grand frisson me parcoure à l'idée qu'un jour tu puisses me lire. Cela voudra dire que ta curiosité l'aura emporté sur toutes tes peurs et tes légitimes difficultés. Je t'en sens de plus en plus capable. Et excuse-moi si nous te pressons un peu trop.
Il est si difficile d'oublier les normes et leur cortège de schémas, de règles, de formatages. Le mimétisme remonte à la nuit des temps. Mais telle n'est pas notre raison, quand bien même ce soit un combat permanent avec soi-même que de refuser les normes. Un combat à vie. Normal.
Non, la véritable raison qui nous amène à te tirer vers nous, c'est la curiosité. Car la curiosité se nourrit du respect, de la tolérance et de la compréhension. Eux même engendrant l'amour et la paix. C'est la meilleure vitamine contre la peur, germe de haine, de violence, et donc de malheur. C'est l'antidote absolu.
Et de la même manière que nous sommes devenus curieux et boulimiques vis-à-vis de toi et de ton monde, nous essayons de te rendre curieux de nous et de la vie. Pour que nos mondes s'embrassent. Et que tu sois tout simplement heureux.
Et finalement qu'importe si tu ne devais jamais comprendre ces mots, que ta différence devait rester aussi franche et singulière : tu m'auras au moins permis de réfléchir, de casser les préjugés et les acquis pré mâchés. |
Par Luc Boland,
à 16:06 :: Lettres à Lou
:: #21
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lundi 15 décembre 2003 |
5. Une autre planète |
Comment te raconter ?
J'ai tant de choses à te dire. Mais pour cela, je devrais faire l'inventaire de toutes les formes de vie que je rencontrerais sur ta planète. Pour te comprendre et jeter des passerelles entre nos deux mondes. Pour utiliser les mots et les références que tu seras à même de comprendre.
Une vrai expédition. Un voyage au pays des merveilles. Où je me perds cent fois au détour d'un sentier. Où je me laisse berner par le chat du Cheshire qui m'induit en erreur. Où ce lapin stressé vient sans cesse me rappeler que le temps m'est compté. Où enfin, il me faut oser l'élixir ou le champignon qui me permettront de prendre de la hauteur, mais sans effrayer ton petit monde si vite inquiet.
Cela me demande de m'organiser, de partir à l'aventure pour tenter d'atteindre les coins les plus reculés. Puis il me faut recenser et consigner les moindres découvertes. Analyser ton biotope, comme on dit.
Peut-être découvrirais-je une clairière. Sans doute n'en ferais-je jamais le tour.
Mais naît en moi une âme d'aventurier. Qu'importe le danger d'en perdre la raison. Qu'importe le risque de m'égarer. De me tromper, voire même de me perdre. Il n'y a pas pire ennemi que la certitude. Il n'y a rien de plus enrichissant que le doute.
Et en cela Petit Prince, tes soeurs, nos princesses, ont déjà ouvert en moi, un appétit féroce. J'ai envie de vivre. Ne pas rester les bras croisés à regarder passer ma vie sans rien en faire. |
Par Luc Boland,
à 15:58 :: Lettres à Lou
:: #20
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vendredi 12 décembre 2003 |
4. Voir ! |
Au fait, c'est quoi un mouton ?
Avec toi, pas question de le dessiner. Tu es aveugle. Un mouton est : un animal, un nuage, une vague, ou même un enfant "gentil".
C'est avant tout une image que chacun se fait d'une réalité qui nous a été montrée et nommée. Libre à chacun de l'imaginer ensuite dans le ventre d'un boa, dans une boîte, ou de l'ignorer. La réalité est codifiée par la science et le savoir.
Mais c'est oublier que la réalité est avant tout arbitrée par notre perception, nos sens.
Tous les animaux terrestres dominants ont comme point commun une vue exceptionnelle : que ce soient les rapaces, les félins, ... ou l'homme. Tous sont prédateurs et au sommet de la pyramide de leur évolution. En milieu marin, les animaux qui dominent les eaux sont ceux qui voient par leur sonar.
La raison en est toute simple, la visualisation (la constitution d'images dans notre cortex) est sans conteste le Sens dominant : Il est trop tard s'il faut toucher un ennemi potentiel pour savoir s'il va attaquer, Il est dangereux de devoir goûter une nourriture inconnue pour savoir si elle est comestible, Il est périlleux de devoir attendre de sentir l'odeur du péril pour pouvoir enfin réagir, Il est risqué de devoir entendre approcher le danger pour en être averti.
Avec la vue, on voit son ennemi avant même qu'il vous ait vu. On a le temps d'analyser, de comprendre et de réagir. La vue est le sens le plus développé, le plus "intelligent". Au point d'en écraser les autres.
La vue est devenue un instrument de paresse.
...Du succès des images, de la télévision. Pour qui n'aura jamais croisé un mouton de sa vie, une simple image lui suffira pour l'identifier. "Mais, je sais ce qu'est un mouton, j'en ai déjà vu un." Dira-t-on. Savoir, être, voir : trois verbes devenus indissociables.
Pourtant c'est l'ensemble des sens qui nous donneront notre propre représentation définitive du mouton. Quelqu'un aura été marqué par l'odeur pestilentielle, un autre par le bêlement, d'autres enfin, par la douceur de la fourrure. Chacun a donc sa représentation globale du mouton. (j'omets ici volontairement le goût du gigot !)
A cela, il convient de rajouter sa propre expérience relationnelle avec le mouton. Comme la tienne, lorsque ce mouton t'a bêlé dans l'oreille.
Mon mouton n'est donc pas le même que le tien, ni celui de mon voisin. Il suffit de comparer les images que chacun se sera construites dans sa tête à la lecture de ces lignes. Chaque représentation sera unique, mais toutes parleront de la même chose, basée sur le compromis visuel transcris en langage : un mouton est un mammifère à quatre pattes (...).
Tout ces propos paraîtront évidents pour un adulte, pourront être compréhensibles pour un grand enfant. Mais ils sont incompréhensibles à ce jour pour toi. A moins qu'au contraire, ta perception soit innée, comme l'instinct, et que cela justifie tes peurs. |
Par Luc Boland,
à 15:56 :: Lettres à Lou
:: #19
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jeudi 11 décembre 2003 |
3. Paradoxes |
Paradoxe... Alors que souvent je me bats avec toi pour que tu t'intègres dans ce monde -cela me semble une nécessité vitale pour toi-, je me surprends à aimer de plus en plus ta planète. Tu es un petit prince jovial, malicieux, et plein d'humour. Ton univers se réduit au simple bonheur d'exister, au jour le jour, car apparemment, tu n'as pas encore conscience de la notion complexe du temps qui passe. De la raison de l'entraînement de ta mémoire auquel nous te soumettons pour un oui ou pour un non. De la raison de nos explications permanentes par lesquelles nous tentons de t'ouvrir l'esprit. Tu ne comprends pas pourquoi la vie est faite de contraintes, de violences, de souffrances. Je t'avoue bien franchement, que moi non plus. De moins en moins.
...Quand je parlais de paradoxe.
Aujourd'hui plus qu'hier, je me surprend à vivre à ton rythme, à ta manière. Ces écrits en sont le témoignage. Travailler pour vivre est nécessaire. Mais créer pour gagner ma vie m'apparaît de plus en plus comme une absurdité.
Par contre faire gagner ma vie en intensité, en laissant le temps faire son travail, me semble de plus en plus évident (Financièrement, on verra bien ce qui adviendra.).
Créer pour révéler les émotions qui sont en moi et rêver le partage. Et que le partage finisse, en prolongement, à me permettre de gagner ma vie.
A ton niveau, tu ne procèdes pas autrement, même si tes chemins sont tortueux et difficiles. Tu prends ton temps. Rien ne presse. Tu visites la vie comme d'autres parcourent un épais catalogue : en feuilletant distraitement le volumineux bottin - il y a trop à voir - , ou en t'arrêtant à une page correspondant à la mode-de-chez-toi, au goût du jour.
Tu t'essayes, t'aventures, t'obstines parfois... Il n'y a pas de doute : tu es bien mon fils ! Comme ces colères qui rappellent les miennes quand je me sentais agressé, blessé ou plus simplement incompris. Non pas qu'il ne m'arrive plus de souffrir, mais j'ai appris qu'une des seules issues possibles à la souffrance étais le partage, le dialogue et finalement le pardon. Tel est le prix du bonheur.
Multiples paradoxes. En luttant contre ta nonchalance ou ton obstination, je me bats contre moi-même. En me mettant à ta place, je replonge au fin fond de moi. |
Par Luc Boland,
à 15:53 :: Lettres à Lou
:: #18
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