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Lettres à Lou |
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Le regard d'un papa sur son petit prince pas comme les autres, sur la vie, l'éducation, l'amour.
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mardi 22 avril 2008 |
61 Jusqu'à l'inaccessible étoile |
Mon p'tit gars, comme tu aimes t'entendre nommer depuis que ta professeur d'équitation t'as ainsi apostrophé.
Relisant le dernier article
que j'ai écrit dans ton journal à propos de tes difficultés en calcul, lisant aussi les commentaires des lecteurs, j'ai éprouvé l'envie d'en reparler avec ces autres mots.
Lors de telles exercices de mathématiques avec toi, j'ai parfois le sentiment que nous sommes des tyrans. En ces moments, j'observe plus que jamais les moindres expressions de ton visage et j'y lis toute la confusion, le désarroi... mais parfois aussi, l'insouciance ou la rêverie. Ta sincérité est ainsi faite. Si parfois, il s'agit clairement d'un manque de concentration, il n'y a aucun doute, face à ton expressivité, que tu es souvent paumé, perdu dans les méandres de ce cerveau qui n'en fait qu'à sa tête. Mais il nous faut tenir bon au delà de l'empathie. Essayer et essayer encore… Tu as déjà franchi tant d'étapes qui nous semblaient lointaines, voire inaccessibles. Tu parviens à écrire de mieux en mieux à la machine Perkins. Quant à a lecture, elle avance aussi, à tous petits pas.
J'ai tenté de t'expliquer l'importance du calcul dans la vie, de la raison pour nous de vouloir t'aider à comprendre et apprendre cette drôle manière de communiquer ou de se représenter les choses. Et je te l'expliquerai, encore et encore… Car à d'autres moments, je me dis que nous n'en faisons pas assez… Cet éternel équilibre fragile.
Un journaliste de Déclic (un magazine destinés aux parents d'enfants handicapés) m'a demandé hier d'écrire le rêve d'un papa d'un enfant handicapé. J'ai décliné l'invitation, faute de temps, mais aussi parce que le rêve que j'ai, me semble inaccessible. Pour t'aider à grandir, il te faudrait des professeurs particuliers, car tu as besoin de rapports privilégiés et de concentration. Des professeur qui se relaieraient à raison d'une demie journée, chacun avec ses compétences : le calcul, le braille, la géographie, l'histoire, les sciences, la musique… Des personnes prêtent à conceptualiser leur enseignement à ta hauteur, à hauteur de ta cécité et de tes limites intellectuelles à repousser patiemment, une à une. Des personnes prêtent à entrer dans ton monde pour en exploiter le contenu et le ramener dans notre réalité (comme l'a si bien fait une institutrice de remplacement). Des personnes ludiques, envieuses de reconsidérer leur savoir avec des mots à auteur d'un petit Prince qui ne voit bien qu'avec le cœur. L'enseignement que tu reçois à l'école tend à te donner tout cela, mais le simple fait d'être en groupe et de répartir l'enseignement à chacun de tes huit camarades forment autant d'obstacles à ton apprentissage. Je rends d'ailleurs ici hommage à tes éducateurs et professeurs qui ont une tâche bien difficile tant avec toi qu'avec d'autres sacrés numéros de ta classe. C'est le système scolaire que je remets ici en cause, car il t'est inadéquat… mais quel Etat serait prêt à financer un enseignement adapté à des enfants tels que toi. Car au bout de ce rêve d'un enseignement qui te serait adapté, il y aurait aussi une vie sociale, en dehors de tes cours particuliers et en compagnie de "camarades" de classe. Et pour couronner le tout, une vie sociale avec des enfants de ton âge ou en rapport à ta maturité… et que l'on nomme "normal" ou "amis". Tel est mon rêve et l'évoquer me fait mal car je ne vois aucun moyen d'y arriver, de même que je me pose en permanence la question de sa légitimité eu égard au besoin vitaux de tant et tant de peuples dans le monde. Mais tout cela me mène si loin de la réalité, de ta réalité…
Je t'aime, mon p'tit gars.
Et en d'autres domaines, tu excelles et as tant de choses à nous apprendre. |
Par Luc Boland,
à 18:32 :: Lettres à Lou
:: #77
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19 commentaires
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