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Lettres à Lou |
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Le regard d'un papa sur son petit prince pas comme les autres, sur la vie, l'éducation, l'amour.
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vendredi 3 octobre 2008 |
63. Les serruriers (à la recherche des clés) |
Mon p’tit gars, Tu as dix ans… Dix ans d’un cheminement fait de progrès et d’éveils. A ton rythme et celui de nos investigations et progrès dans la compréhension de tes difficultés à sortir de ton monde.
Depuis dix ans, nous sommes devenus des aventuriers, « Indiana Jones et Lara Croft dans le labyrinthe de Morsier *». Mais d’aventuriers, il serait plutôt question de serruriers, tant ta forteresse compte de portes verrouillées qu’il nous faut ouvrir et franchir pour atteindre une certaine forme de communication équitable avec toi. De ton monde, nous connaissons surtout ce pays de Cocagne dont tu ouvres les portes à tout vent. Tout doit y être plaisir, amour, tendresse et jeux, son et musicalité, afin d'éloigner le pays sombre de tes peurs. Un monde dans lequel tu essayes sans cesse de nous emmener, mais dans lequel il est impossible de survivre en permanence, car il nie toute contrainte, même essentielles, voire vitales. Un monde dans lequel tu entends inviter toute personne que tu croises. Ainsi, as-tu tracé un chemin et ouvert certaines portes pour imposer une relation bien précise avec autrui. Tu as balisé un itinéraire précis, une viste guidée de ton monde, verrouillant toutes les autres portes qui s’écarteraient de ce que tu es prêt à partager avec des visiteurs. Etrange dualité d’un labyrinthe fléché et ouvert sur des espaces foisonnant de communications, de plaisirs et d’émotions, et inversement, composé d’une multitude de portes hermétiquement fermées.
Combien de clés avons-nous déjà essayées pour ouvrir ton monde au nôtre ? Patiemment, nous observons les trous des serrures pour sélectionner les meilleures d'entre elles. Avec plus ou moins de succès. Certaines clés ouvrent des portes donnant sur des espaces vides et noirs qui t’effrayent, et qu’il convient d’urgence de refermer ou de meubler des couleurs et choses qui te rassurent. D'autres clés s'avèrent utiles car d’usage pour de multiples portes, tel un sésame. Mais combien de fois buttons-nous sur une porte qu’à peine ouverte, tu refermes et cadenasses de plus belle ? Un travail de limier. Et puis il nous faut mémoriser le dédale de portes et de pièces comme le plan d'une carte aux trésors, un chemin vers la communication. Nous avons une armoire pleine de plans appris par coeur pour nous rejoindre et communiquer. Et comme tu aimes les rituels, il t'arrive souvent de vouloir nous imposer des contournements précis. Une infinité de clés nous attend encore. Une multitude de surprises et d’aventures aussi. Mais en dix ans et à ton rythme, ton monde s’ouvre, petit à petit. Viendra peut-être un jour où plus aucune nouvelle porte ne s’ouvrira, car ainsi, seras-tu toi, Lou, un petit bonhomme extra ordinaire, un Petit Prince vivant dans un labyrinthe où les émotions valent plus que la raison.
(* Lou est atteint du Syndrome de Morsier, avec pour conséquence des déficiences physiologiques et une différence intellectuelle singulière.)
Ma race, c'est celui que je suis. Toute personne est à elle seule une humanité. Chaque homme est une race. Mia Couto (auteur Mozambicain) |
Par Luc Boland,
à 10:26 :: Lettres à Lou
:: #79
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