Bonjour, je m'appelle Lou.
Je suis un petit garçon qui ne voit bien qu'avec le coeur, ce qui rend la vie de mes parents et mon éducation épiques !
Je suis donc aveugle et différent dans ma petite tête blonde.
...avec toutes mes excuses pour les personnes qui ne l'auraient pas compris, tous les textes de ce site sont pensés et écrits par moi-même (son papa).
Lou n'en est actuellement pas capable, tout comme il n'est pas capable à ce jour de comprendre "un ordinateur", "internet", ou se concentrer longtemps sur une conversation. Seul l'avenir nous dira si nous parviendrons à l’intégrer totalement le monde dans lequel il vit.
Il est donc clair que ces récits, bien que tous les faits rapportés soient bien réels, comportent une interprétation que je fais en fonction de son comportement. Mais pour bien le connaître depuis plus de cinq ans, je pense ne pas me tromper.
Si ce site vous a fait du bien, vous a touché ou que sais-je encore, merci de nous aider à la faire connaître. Que ce soit par un mail à vos amis, au gré de discussions, ou d'un lien sur votre propre site.
Merci à la Fondation Roi Baudouin ("Parcours Hors-pistes"). Le nouveau design, l'hébergement et les traductions ont pu être réalisés grâce partiellement à son soutien financier.
Ainsi, suis-je fait. Lorsque Didier (nom d’emprunt) refuse d’obéir et pique sa crise à l’école, cela me stresse. Il a beau ne plus être dans ma classe depuis cette année, il me suffit d’entendre une scène de dispute entre une éducatrice et lui, lors des “rangs” ou au “groupe de jour”, pour me foutre le bourdon. C’est mon premier sujet de conversation à chaque descente du bus devant la maison, lorsque cela s’est produit durant la journée. Hélas, cela arrive fréquemment et particulièrement ces derniers temps. - Bonjour, Lou. Tu as passé une bonne journée. - Non, ma journée a été mauvaise à cause de Didier. Le stress peut être tel, comme la semaine dernière, qu’il m’arrive d’en avoir la migraine. - J’ai peur d’être malade. C’est ma manière à moi d’exprimer un mal-être physique.
A ce que me disent mes vieux, je vis avec trois sens : le toucher, l’ouïe et le goût, bien que ce dernier soit altéré par mon absence d’odorat. Ils ont bien essayé de temps à autre de me faire sentir des odeurs fortes pour tester mes réactions, mais à chaque fois que je m’y prête, aucune perception n’attire mon attention.
Je ne sens donc pas non plus certaines émissions de méthane que je ne peux réprimer en public, même si à force d’entendre papa me dire “Dis, Loulou, ça pue !”, je me fends parfois d’un “Ça pue !”, prémonitoire et consécutif à ... . J’ai donc la chance de ne pas sentir les mauvaises odeurs et je ne suis pas malheureux de ne pas sentir les parfums puisque je ne sais pas ce que c’est.
L’ouïe et le toucher sont essentiels pour moi. De la raison, sans doute, de mes rapports aux câlins et doudouces. De la raison, sans nul doute, de mes rapports à la musique, à l’expression des timbres de voix et des messages induits qu’ils véhiculent : les émotions. Mais revenons-en à l’odorat.
Enregistrer dans mon disque dur et reproduire. Telles sont ma passion et ma saveur sur cette terre. Je suis le “recorder” et plus que jamais, le “player”.
Depuis que j’ai chanté avec Maurane – nous avions passé trente-cinq minutes ensemble derrière le piano, mais cela, le reportage ne le montre pas -, je ne cesse de travailler ma voix et d’essayer de nouvelles nuances, de nouveaux sons. Que ce soit en chantant derrière mon nouveau piano - j’imite alors ses tremolos ou sa voix chaude de Bèrlebus- , ou que ce soit au gré de mes imitations qui occupent une bonne partie du reste de mon temps.
- Ecoute, papa, comme j’imite bien… Rajoutez en fin phrase, au choix :
Lorsque quelque chose me fait rire, comme le Furby qui a les piles usées, les histoires abracabantes que j’invente avec papa au petit déjeuner, ou encore les petits incidents comiques de la vie, je souhaite les voir se répéter et perdurer à jamais. J’aime rire. Je ne ferais que cela s’il m’était donné la possibilité de le vivre. L’éternelle question de la gestion de mon cerveau, cette drôle de machine qui fait que je suis moi, Lou, incapable de formuler ces mots que papa écrit en mon nom.
L’autre jour, à table, papa a essayé de m’expliquer que l’humour à répétition finit immanquablement par faire moins rire, puis un jour plus du tout. - Tu vois, Lou, quelque chose qui te fait rire ne reste pas indéfiniment drôle. Prends, par exemple, la première fois qu’on a inventé l’histoire du “Trou du monstre” : tu étais mort de rire. Tu riais, riais... ! Et depuis, à chaque fois que tu me demandes de la raconter à nouveau, tu ris de moins en moins... Les histoires drôles s’usent, mon bonhomme, et... Je l’ai interrompu, fièrement : - C’est parce que les histoires ont les piles usées ! Papa, maman et Eva se sont mis à rire. - Et bien, tu vois, ça, c’est une nouvelle blague et, du coup, elle nous fait bien rire. J’en ai ri, aussi. - C’est pour cela aussi qu’on t’explique sans cesse que “la nouveauté” est la chose la plus chouette qu’il soit. Et il en va ainsi pour tout : la musique, les activités, la nourriture... et les histoires drôles. J’ai alors récidivé : - Oui, sinon, elles ont les piles usées ! Mais ils ont moins ri.
Flashback. Sur la plage. Je suis dans le trou que papa a creusé dans le sable et éructe joyeusement avec un accent beur façon très Jordi : - Ouais, ouais, je suis pas automatique, pas sympathique ! Au secours, à l’aide, je suis Papa Bèrlebus et je me fais exploiter par le monstre ! A l’aide ! Le père (pour la énième fois), à quelques mètres du trou : - Loulou, ça ne veut rien dire « Je ne suis pas automatique », on parle d’autom… Toujours la même litanie. Si je ne l’interromps pas, il va me refaire toute son explication. - Au secours ! Allô, police ! Venez m’aider ! Le père : - Allô, ici la police. Qui est à l’appareil ? Avec le même accent gouailleur : - C’est moi, papa Bèrlebus. Je suis exploité par le monstre ! Venez me chercher ! - J’arrive.
Avec moi, tout prend un ton particulier… y compris les "leçons" de piano que je reçois depuis six mois.
Un jeudi de novembre, Michel a débarqué à la maison, puis un autre dimanche, ce fut le tour de Mireille d'entrer dans ma vie, et ainsi de suite, en alternance, à raison de deux fois par mois environ. Mireille joue du répertoire classique et m'apprend à jouer des musiques académiques qui, je l'ai bien compris, me font travailler mes gammes. De son côté, Michel me fait découvrir des morceaux de variété choisis, qui m'obligent à écarter les doigts, enchaîner certains accords, etc. Chacun son style et au rythme de mon bon vouloir, car comme pour le reste et sans doute plus encore derrière mon synthétiseur, j'entends mener le bal à ma guise. Avec moi, on ne parle pas de "leçon", mais de "conseils pour encore mieux jouer". Parfois, je les écoute, parfois pas. De leur côté, mes vieux me font découvrir des morceaux choisis et conseillés par l'un ou par l'autre : Wim Mertens, "Lettre à France" de Polnareff, Yan Thiersen et sa musique de "Amélie Poulain", des musiques classiques,… . Parfois j'accroche, parfois pas.
Les voyants ont parfois de drôles de rituels. Ainsi, tous les ans, à l'école, on doit aller à la séance de photo. Pour moi, une photographie, cela ne veut rien dire : c'est du papier lisse, point barre. On nous dit alors de prendre à tour de rôle une pose bien précise et de faire un beau sourire …mais un sourire sur commande, c'est pas quelque chose de naturel pour moi (et globalement pour tous les aveugles). Quand on rit, on rit et quand on est content, on fait naturellement un sourire. Maman m'a bien déjà montré ce que représentait un sourire, en tirant sur les muscles de mon visage, mais en l'absence d'émotion, cela tourne à la grimace. Conclusion, j'ai fait un beau sourire pour faire plaisir au photographe et mes vieux ont bien ri en voyant le cliché… que je ne verrai jamais.
NDLA : à quand le moule d'un visage en substitution ?
Cet après-midi, au groupe de jour de l’école, on a construit une flûte avec des pailles. De retour à la maison, papa et maman me questionnent en trouvant l’objet dans mon cartable. Le prenant des mains de papa, j’entame une démonstration et lui propose sur le champs de prendre sa caméra pour qu’il puisse m’enregistrer et le mettre sur CD.
C’était cet été, à la mer. On se promenait dans un marché lorsque nous nous sommes approchés d’un vendeur de C.D. . Toutes les quinze secondes, il changeait de musique. Un mois plus tard, je me suis assis derrière mon clavier et ai interpellé papa : - Ecoute, je vais te jouer une chouette musique du marché de la mer. J’ai cherché le premier accord pendant deux ou trois secondes puis ai enchaîné sans discontinuer « Pour un flirt avec toi » de Michel Delpech.
J’aime formuler les choses à ma manière. Et tant pis si, à vos yeux, cela vous semble incohérent. Ainsi, souvenez-vous, ma passion pour le papa mouton m’amenait à appeler tout animal domestique « un papa mouton », quand bien même il s’agissait par exemple d’une vache et que je le savais très bien. Maintenant que Méga, notre chienne, a jeté le papa mouton aux oubliettes, il en va de même : je mets Méga à toutes les sauces.
Mais mon petit dico perso est aussi riche d’expressions savoureuses et toutes personnelles. S’il s’agit de parler d’un rêve ou de l’imagination, je dirai : « j’ai imaginé la caméra de papa qui… ». Mes vieux ont beau m’expliquer qu’il n’y a pas besoin de dire « la caméra » pour parler de l’imagination ou du rêve, je m’en contrefous. Pour moi, la caméra de papa, c’est LA référence en terme de restitution des choses. Ben oui, c’est logique avec le film qu’il a fait sur moi et les enregistrements qu’il fait à ma demande.
Autre exemple, s’il s’agit d’écouter les bruits ambiants quand je suis dans mon lit, je dirai : « Je vais écouter le monsieur de la voierie ». Une fois encore, l’origine de cette expression est toute simple : tous les mardis et jeudis, de grand matin, j’entends, du fond de mon lit, passer le camion de la voierie dans la rue, avec le bruit grinçant de la benne et les éboueurs qui parlent à haute voix. J’adore, au même titre que le ferrailleur. Le terme est donc devenu générique pour toutes les ambiances que j’écoute dans mon lit, le matin avant le lever ou le soir avant de m’endormir.
Ainsi, quand mes vieux m’ont annoncé que samedi soir, des amis viendront à la maison pour l’anniversaire de maman, j’ai exulté : - Chouette, je pourrai écouter le monsieur de la voierie dans mon lit !
C’est bien connu, les grands-parents et les baby-sitters peuvent tout se permettre. C’est le privilège de l’exception et du droit de faire aussi la « fête » quand les vieux s’en vont faire la bringue ailleurs.
Ainsi, j’adore Zoé, ma baby-sitter attitrée. Il faut dire qu’avec elle, s’est progressivement mis en place des rituels comme les tartines au miel avant d’aller au lit, ou de grandes « déconnades », tel imiter Jordi qui éructe ses gros mots, au point qu’il lui est déjà arrivé de se retrouver presque aphone d’avoir ainsi hurlé pour mon plus grand plaisir. Quand le chat n’est pas là, les souris danse, comme on dit, et je peux vous assurer qu’en l’absence de mes vieux, je ne m’en prive pas.
Samedi dernier, au lendemain d’un baby-sitting, quelle ne fut pas la surprise de maman, lorsqu’à mon lever du lit, je lui ai dit : - Ecoute, maman : quéne arètche ti chal, d’jà une tchèsse come a sèyè avou to çoulà ! Ce qui veut dire : « Quel boucan ici, j’ai une tête comme un sceau avec tout ça ! ». Ben oui, d’origine liégeoise, elle s’est mise en tête de m’apprendre des gros mots en wallon afin d’étoffer le répertoire de Jordi. Avantage indéniable : tout le monde ne comprend pas ! Et comme, à l’inverse des choses qui ne m’intéressent pas, j’ai une mémoire prodigieuse pour ce qui me plaît, ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, mais d’un aveugle friand de saveurs sonores. Maman riant un bon coup, je lui ai fait étalage de mes nouvelles connaissances en wallon avec une autre expression : - D’j’ène a plein l’cou di totes tes conrèye ! Ce qui veut dire : J’en plein le c.. de toutes tes conneries !
Les langues font parties de ces saveurs de la vie que j’apprécie par dessus tout. Il faudra que je vous parle à ce propos de mon chauffeur du bus. Il est turc.
Moi, j’aime la différence. C’est toute la richesse sonore de ce monde.
(NDLA : j’avais évoqué dans un article précédent une étrange histoire de « L’eau du bus ». Levons donc le voile sur ce mystère.)
On ne modifie pas ainsi mes us et coutumes. Disons simplement qu’avec le temps, se produisent de petites évolutions voire des substitutions. Ainsi, depuis mon acceptation, il y a cinq ans, de manger avec papa, suite à ma peur liée à une absence prolongée de maman, la tradition veut que lors de ces repas, le paternel se fende d’une histoire pour occuper le temps*. Tous les dimanches matins – là aussi, il s’agit d’une tradition qu’il n’est pas question de changer sans motif valable-, je prends donc un petit déjeuner avec lui, rythmée par un récit qui se doit d’être drôle. Si, par le passé, Monsieur René et le Petit Chien Courage en étaient les héros, cela fait des mois qu’ils ont été remplacés par Jordi et tutti quanti. Quant à l’histoire elle-même, j’ai jeté mon dévolu sur le récit le plus abracadabrantesque** que l’on puisse imaginer. C’est moi qui ait eu l’idée d’inscrire le bus qui me ramène quotidiennement de l’école comme décor. C’était à l’époque où je connus quelques déboires lors des retours à la maison. Une catharsis en somme.
Cela fera un an, en juin, que Jordi a quitté mon école et que je continue, malgré tout, à le faire vivre dans les histoires que je m’invente. - Hé, maman, tu sais quoi ? Jordi était dans le bus ! - Loulou, tu as imaginé que Jordi était là. - Non, je t’assure, il était dans le bus ! Soit.
Depuis lors, je n’ai trouvé personne, digne de ce nom, pour le remplacer. Pas un « grand », ayant le même accent beur de banlieue… jusqu’il y a peu. Tout a commencé dans le bus qui me ramène tous les jours de l’école. J’ai repéré un autre garçon qui a une voix grave et qui parle avec un accent gouailleur, une vrai voix de loubard, et qui utilise des mots comme dans le rap : je vous présente Bruno.
Bruno est un grand gaillard de douze ans qui est à l’école dans les classes de type 8. Il est tous les jours à la récré et le soir je le retrouve dans le bus. Génial et pratique !
Tous les matins, je n’ai que cette phrase en bouche : - Dis, papa, quand on sera à l’école, on ira dire bonjour à Bruno ! Ce que nous faisons. Seulement voilà, Bruno, il a ses copains de classes et il n’en a rien à f… de moi. Au mieux, il me glisse un « salut, Lou » et s’en va jouer avec ses condisciples. Cela me déçoit un peu, mais il en faut plus pour me faire renoncer : j’ai décidé qu’il remplacerait Jordi et que ce serait mon copain, point à la ligne. Personne, pas même lui, ne m’en dissuadera.
Papa et maman ont bien tenté de m’expliquer qu’une amitié était un échange, un partage d’intérêt, d’attrait réciproque, mais je ne le conçois pas comme cela. Du coup, Bruno a tendance à me fuir. Qu’importe, cela reste mon ami. Plus pour très longtemps non plus, car mes vieux m’ont expliqué que fin juin, il changera d’école, comme Jordi.
Pourquoi les relations sociales sont ainsi faites ? Pourquoi mon amitié n’est-elle pas réciproque ? Pourquoi, à chaque fois que je kiffe sur quelqu’un, cette personne s’en va de ma vie ? Votre vision du monde et votre approche de la vie me dépassent.
Moralité : je n’aime plus le mercredi, parce que le mercredi, Bruno prend un bus à midi, tandis que moi, je prends celui de 16h00.
Us et coutume ? - Plus que trois cuillères, maman ! - Je te donne trois bisous. - Un dernier Choco-As, maman. C’est le troisième ! Je te jure que c’est le troisième ! (on peut toujours essayer, non ?)
Une échéance ? - Je viens au bain dans trois minutes… - Je compte jusque trois… Etc…
Pourquoi, me demanderez-vous ? Après enquête et réflexion de mes vieux –je peine personnellement à trouver des explications rationnelles-, ils ont constaté que ce chiffre me collait à la peau. Tout d’abord, je suis le troisième de la fratrie. Ensuite, il y a mon groupe rock favori : « Muse »… car ils sont trois et cela ne m’a pas échappé. On peut citer aussi mon conte favori de quand j’étais petit : les 3 petits cochons. Au goûter, je mange généralement trois biscuits après le(s) fruit(s). Enfin, le chiffre trois représente l’échéance.
Du coup, je ponctue ma vie de chiffres trois à toutes les sauces : - Un, deux, trois, je mets trois fois mes doigts dans la bouche (comme ça, pour le plaisir). - Moua, moua, moua : je te fais trois bisous, maman. - Papa ? Je bois trois fois (trois gorgées, ce que je.) - On joue à s’écraser trois fois ! - 1, 2, 3, je fais passer mon petit orteil au dessus de son voisin pour enfiler mes chaussures. - Tu peux me remettre trois fois le morceau de Charles Loos ? - Moi, je suis chiffre trois. Et toi, papa ?
Je vous assure, la vie est belle plutôt trois fois qu’une !