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lundi 15 octobre 2007 |
599. Chronique du temps qui passe 45 |
Retour de l’école. Maman s’assied dans le fauteuil pendant que je traîne au pied de celui-ci. Le rituel de la lecture du « Carnet du groupe de jour ».
Il y a les jours « avec », où j’ai droit aux chaleureuses félicitations qui me comblent de fierté, et puis il y a les jours « sans ». C’est souvent un jour sur deux. Allez comprendre. Aujourd’hui est un jour « sans ». Dans le carnet, il est question du repas de midi à l’école. De mon chahut. D’incitation à ce que les autres enfants désobéissent aussi. D’isolement. Du retour dans le groupe. Assagi. De la soupe que je traîne à boire jusqu’à l’échéance de la fin du repas où je n’ai plus le temps de le terminer. Bref, d’un midi où, de mes propres mots, « j’ai fait le bébé Cadum ». Au fur et à mesure, la voix de maman change. La lecture est ponctuée de commentaires réprobateurs. - Dis, Loulou, ça ne va pas du tout, cela ! J’ânonne : - Kwaaaa ? - Tu as très bien entendu ce que j’ai dit. - Parce que j’ai fait le bébé Cadum à l’école ? Le père s’approche et entre dans la partie de sa voix pas du tout Bèrlebus : - Qu’est ce que c’est que cette histoire, mon garçon ? Je me renfrogne et me recroqueville comme un hérisson, coincé entre le canapé et la table du salon. - Bon, allez, Loulou, viens t’asseoir dans le fauteuil, qu’on discute un peu. Dis sur ce ton convivial, j’obtempère. - Lou, on n’est pas d’accord ! Est-ce que tu m’as bien entendu ? - Oui. La suite de la conversation se passe sur un ton posé, précis, relevé de quelques accents posés ça et là, histoire de mettre en exergue tel ou tel mot. J’ai droit à leur cours de morale en bonne et due forme. Pas un point ne manque sur les « I ». Des mots et des phrases maintes fois répétés et cent fois entendus. Régulièrement, ils me posent des questions pour s’assurer de mon attention. Mes réponses étant régulièrement approximatives ou usant de singuliers raccourcis, ils me corrigent et reprennent leur logique depuis le début.
Aujourd’hui, ils attaquent d’abord le sujet du « Devoir d’obéir ». J’ai droit aux : « Tu es un enfant », « Les grandes personnes sont là pour t’apprendre ce que tu peux ou ne peux pas faire », « Tu vas à l’école pour apprendre », « Tu dois réserver tes détentes aux seules récréations . Pas en classe, ni au groupe» etc. Enchaînement sur « De l’importance pour vivre heureux », « Du fait de respecter les autres » et « Du risque de ne plus être aimé si je ne respecte pas les autres ». - Tu veux voir ce que ce serait si on te respectait pas, Lou ? …Ben oui, imagine que là, maintenant, je n’ai pas envie de te respecter et que j’ai envie de t’ennuyer. Ça y est, papa va faire un jeu de rôle dont il a le secret et qui finit immanquablement par me faire rire. Il prend le ton du méchant garçon et m’assène de petits gestes de sa main comme pour me repousser et m’embêter : - Hé, Loulou, t’es con ! … Ouais, va t’en ! Fais Méga qui aboie ! Allez, fous le camp ! Ouais, ouais, ouais, je fais le bébé Cadum et je fais ce que j’ai envie, alors je t’embêteuh… Et j’ai envie de chahuter... Il monte progressivement la voix et poursuit ses bêtises. A mon habitude en pareille situation, je balance un « Mais nooon, hein ? C’est pour rire ! » …au départ surpris et un peu hésitant, puis à moitié rassuré, et enfin amusé. Il fait semblant de ne pas m’entendre et continue. Maman s’y met aussi. Je finis par rire de les entendre ainsi lorsque papa reprend un comportement normal. - Bon, Loulou, trêve de blagues. Est-ce que tu aimes bien quand on est comme cela ? - Nooon, hein ! - Et bien on te respecte en ne faisant pas ce que tu n’aimes pas. Tu comprends ? Imagine que tout le monde fasse comme « cela », que chacun ferait ce qu’il a envie. On serait heureux ? - Nooon, hein ! - Et bien c’est la même chose pour toi. Je tente alors une diversion : - Oui, mais Wendy, elle a été méchante avec moi, à quatre heures. - Non, je ne crois pas que Wendy peut être méchante avec toi. - Si, elle a été méchante. Elle se fâchait sur moi. - Qu’est ce qu’elle te disait ? - Que je devais avancer. « Allez, avance ! », comme cela ! Alors que je faisais le grand garçon. - Peut-être qu’elle était encore fâchée à cause du repas de midi, Lou. - Mais je faisais rien. Je faisais le grand garçon. - Oui, Lou, mais c’est ce que je viens de t’expliquer. Tu ne lui as pas obéi à midi et elle a donc gardé un mauvais souvenir de toi. C’est normal. Elle était pas contente et elle a eu raison. La conversation se poursuit, se répète encore et encore, et se conclut par le moment que je choisis pour leur faire mon serment : - Je promets que je ferai plus le bébé Cadum. Je vais faire le grand garçon. J’ai encore droit, une ou deux fois, à leur insistance sur l’importance de mon effort dont je réitère ma promesse. Fier de mes propos, je lance même un engagement de la plus haute solennité : - Et si je fais le bébé Cadum, et bien je serai puni et je ne pourrai pas aller chez Lila et Perrine dans quinze jours pour écouter Méga gémir pour les lapins. Je vous jure que là, je mets en jeux la perspective qui me tient le plus à cœur actuellement. Mais voilà que mes vieux tempèrent. Ils me félicitent mais ne m’obligent pas à un tel engagement, comme si je ne devais pas promettre cela.
Ils sont durs à suivre parfois mes parents. Et votre monde et son cortège de règles aussi. Mais tout va bien, et je fais fièrement le grand garçon jusqu’au soir, ponctuant le reste de la journée de paroles aimables et aimantes.
C’était « une chronique du temps qui passe » d’aujourd’hui, qui pourrait dater d’une semaine et plus, ou qui pourrait probablement être écrite la semaine prochaine et les suivantes.
NDLA : « Patience et longueur de temps, font plus que force ni que rage. » Jean de Lafontaine
Merci à Wendy et à toute les équipes de l’école de Lou pour leur patience et leur compréhension.
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Par Bèrlebus :: lundi 15 octobre 2007 à 20:59 :: Au jour, le jour
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Vos commentaires |
Je pense que je ne vais pas mettre grand chose, seulement ceci :
Vous êtes des parents comme on n'en fait plus, je suis remplie d'admiration pour toute cette patience afin d'expliquer encore et encore... pour que Lou puisse comprendre et rien que pour cela je vous dis CHAPEAU...
Venir chez vous c'est comme entrer dans une confisserie où ne se trouvent que douceurs, couleurs et AMOUR, en fait les bonbons et l'amour, ça a le même goût, Pas vrai dis???
Bizzzzzzzzzzz |
Le lundi 15 octobre 2007 à 23:13,
commentaire par
ANDREE
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Que dire après cette si belle prose d"Andrée si ce n'est que moi aussi, à chaque fois que je viens prendre des nouvelles de Lou, je rentre avec plaisir dans cette confiserie d'amour. Lou grandit avec force grâce à ces bonbons d'amour. Que de chemin parcouru depuis la première chronique du temps qui passe ... |
Le mardi 16 octobre 2007 à 00:36,
commentaire par
Cayenne
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Hier c'était la journée "canne blanche", j'ai pensé un peu plus à toi petit Lou (enfin non Grand lou qui fait le grand garçon) et à ta famille qui fait tout pour que ce monde qui est tout sauf indulgent vis à vis de la différence te soit accessible.
Je me joins à Andrée, une famille comme on en fait plus, où patience et amour sont maitre mot. Mille bravos à vous je suis admirative et l'évolution de lou ne fait que confirmer que vous êtes dans la bonne voix.
Bises à vous! |
Le mardi 16 octobre 2007 à 14:36,
commentaire par
Laéti
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Merci Andrée, Cayenne et Laeti, pour vos compliments, mais paradoxalement, cela me met mal à l'aise en regard à tous ces parents qui portent un enfant avec un handicap bien plus lourd. Nous n'avons nullement à nous plaindre.
J'essaye juste par cet article de montrer la récurrence des difficultés mentales de Lou.
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Le mercredi 17 octobre 2007 à 10:24,
commentaire par
Luc
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Je suis certaine que cela nous l'avons compris et d'avoir travaillé avec avec Cyril pendant 4 ans, sans la parole, mais avec des gestes ou des façons de faire chaque jour, répètant encore et encore je me représente très bien ce que cela doit donner comme travail avec Lou pour qu'il n'oublie pas les données "exactes" de ce que vous lui apprenez... N'empêche qu'on ne peut qu'être admirati(f)ves pour le non abandon de ce rituel répétitif.
Tu as raison Luc il y a des handicaps tellement lourds, en regardant CAP 48 dimanche, je me suis demandée si j'aurais pu y arriver, pas certain!!!
Bizzzzzzzzz |
Le mercredi 17 octobre 2007 à 13:47,
commentaire par
ANDREE
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C'est sur Luc il y a des handicaps plus, voire beaucoup plus lourd.
Mais pas besoin de handicap pour qu'amour et patience transparaisse. Je pense, mais je n'en doute pas un seul instant au vue de mes courtes rencontres avec elle, que vous avez cette même attitude avec Eva.
Chacun fait ce qu'il peut avec les moyens que la vie lui donne, mais la vie de tout les jours nous fait parfois oublier que rien ne vaut l'amour, la patience, le respect de soi et des autres pour se construire et que chacun trouve sa place dans la société ... et la société commence par la vie de famille.
Alors je réitère mon bravo! Peut être que le handicap de Lou vous force quelque part à cultiver ces qualités, mais une chose est sure ... ce n'est pas facile mais tellement Beau. |
Le mercredi 17 octobre 2007 à 15:49,
commentaire par
Laéti
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BONNE FETE CHER LUC... eh oui c'est ta fête aujourd'hui !! |
Le jeudi 18 octobre 2007 à 07:22,
commentaire par
laurence à Luc
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En effet, aujourd'hui c'est la Saint Luc, bonne fête à toi et amitiés à tout le monde. |
Le jeudi 18 octobre 2007 à 09:16,
commentaire par
Elie
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merci, cette pensée est toute mignonne ! |
Le jeudi 18 octobre 2007 à 19:16,
commentaire par
Luc
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Enchantée d'avoir pu te rencontrer aujourd'hui à la Marlagne. Je n'ai pas eu le temps de discuter ensuite avec toi car mes collègues m'attendaient. Après-midi très enrichissante je pense que les participants à l'atelier sont repartis avec un autre regard sur le contact à avoir avec les parents. J'espère que d'autres journées avec les professionnels pourront se reproduire. Amitié et bisous à Lou quand il rentrera de chez ses grands-parents. |
Le jeudi 18 octobre 2007 à 20:49,
commentaire par
cayenne
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Enchanté en retour Cayenne (et merci de ton aide sur place).
...nous vous abandonnons quelques peu après une semaine de dur labeur pour la Fondation : week-end avec les vaches (euh... les papas moutons) |
Le vendredi 19 octobre 2007 à 16:55,
commentaire par
Luc
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