Chui à table, mangeant mes tartines qui succèdent au goûter. Lorsque papa nous rejoint, maman lui annonce fièrement : - J'ai expliqué à Lou que bientôt, il va pouvoir manger les fruits avec une fourchette parce que c'est un grand garçon. Hein, mon Loulou ? - Non, j'veux pas mange la fourchette ! - Mais nooon, Lou, tout d'abord on ne manger pas une fourchette, mais on mange avec une fourchette. C'est comme pour la cuillère. - Je veux pas manger avec la fourchette. - Pas aujourd'hui, tu as déjà mangé ton goûter. Mais bientôt. - On est pas bientôt ! - T'es un sot, Lou. - Je fais quoi ? - Tu le sais très bien. - Je fais le bébé Cadum et je veux rester un bébé Cadum. Je veux pas être un grand garçon. Les v'là prévenus. Faut dire qu'ils exagèrent. Depuis le retour des vacances, ils profitent des concessions que je leur ai faites. Et vas-y qu'ils me fassent manger les tartines avec les croûtes, qu'on aille au marché du dimanche sans la poussette, que, de manière radicale, je ne puisse plus écouter d'histoires ou de musiques, ni même allumer l'éléphant pendant mes repas (qui se transforment en training intensif sur ma compréhension des choses – on s'croirait à l'école -) Et ce ne sont que des exemples ! "Monsieur René", Merlu et le petit Chien Courage retrouvent des crénaux horaires limités qu'ils me fixent, et quand ils s'amusent à dire des gros mots, v'là qu'mes parents me menacent de ne plus jouer avec eux s'ils continuent ! Et bien le croirez-vous, malgré toutes ces exigences, je reste de bonne composition. Alors, j'peux bien de temps à autre clamer mon raz-le-bol ! - Allez mange ta tartine, Lou. - Non, je ne veux pas manger la tartine avec la fourchette. - On ne mange pas une tartine avec une fourchette. Allez, mange. J'obtempère... En plus, ce sont les croûtes ! - La fourchette, elle doit aller faire dodo parce qu'elle est fatiguée. - Tu sais très bien que c'est un objet. - Non, c'est une personne, et la fourchette fait le bébé Cadum ! J'fais un renvoi sonore. Papa qui nous écoutait, entre dans la danse. - Lou, ça suffit ! - Qu'est-ce qu'il y a, papa ? - Tu arrêtes de nous prendre pour des idiots avec cette histoire de fourchette, et je ne veux plus que tu fasses des renvois tout le temps. ( c'est vrai que j'en fais des solides à tout bout de champs, même que je peux les faire sur commande et que ça fait un certain temps qu'ils me demandent de mettre le moderato.) - Et moi je veux faire des renvois. - Et bien alors on va se disputer très fort et tu vas avoir de gros ennuis également avec Monsieur Guy (mon futur instituteur), Elisabeth ou Elisa (mes gardiennes à l'école) et tous les autres !
Je me tais. Papa, sérieux mais pas en colère, continue. - Bref, mon garçon, va falloir faire un solide effort et arrêter de tout le temps faire le bébé Cadum. - Je suis un bébé Cadum et la fourchette aussi ! - Tu es prévenu, mon fils !
A ces mots, il monte travailler dans son bureau et moi... j'écrase, ayant reçu le signal cinq sur cinq. Finalement, j'aime bien faire celui qui comprend pas et tourner mes vieux en bourrique. En plus, ils marchent au quart de tour.
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